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Saturday, September 30, 2006

Vrais et faux ennemis de l'islam

Il ne se passe pas un mois sans que l'islam ne soit au coeur d'une polémique mondiale et sans que les musulmans ne manifestent leur colère contre des «ennemis» qui «blasphèment» leur religion et «fustigent» leur prophète. Mais, cette fois-ci, il ne s'agit ni d'un caricaturiste ni d'un écrivain, mais de la plus haute autorité morale et spirituelle de l'Eglise catholique, le pape Benoît XVI.

Pourtant, en dehors de ces réactions invariablement hystériques, il n'y a aucun rapprochement à établir entre l'affaire des caricatures, celle de tel ou tel écrivain à la littérature irrévérencieuse à l'égard du sacro-saint islam et celle de la conférence philosophique et théologique que le pape a prononcée. Réduire cette conférence magistrale, principalement consacrée à la problématique très complexe et typiquement «averroïste» des rapports entre foi et raison, la réduire à une vulgaire stigmatisation de l'islam ­ c'est plutôt l'Occident hédoniste et déchristianisé qui était la cible du pape ­, c'est faire preuve d'une affligeante ignorance. Pis, c'est donner raison aux ennemis de la raison, ces intégristes qui voient dans toute critique la manifestation d'un fantasmagorique complot de l'Occident contre le monde islamique. On ne le dira jamais assez, l'ennemi mortel de l'islam, c'est le fanatisme, et le mal qui le ronge depuis des années, c'est l'intolérance. En moins de dix ans, nul n'a autant discrédité l'islam que l'islamisme lui-même, cette souillure de l'islam, cette nécrose de la civilisation islamique. Des horreurs commises par les égorgeurs du FIS et du GIA en Algérie, y compris le supplice des pauvres moines de Tibérine, aux multiples massacres ordonnés par Ben Laden et ses acolytes, en passant par les faits et méfaits des talibans en Afghanistan, que de chemin parcouru sur la voie de la décadence et de la barbarie.
Ceux qui crient aujourd'hui au complot, où étaient-ils lorsque tant d'atrocités étaient (et sont toujours) commises au nom du Coran ? Qu'est-ce qui est plus dommageable pour l'islam, le fait de citer ­ sans y souscrire ­ un manuscrit du XIVe siècle, ou le fait de tuer indistinctement hommes, femmes et enfants au nom d'une conception dévoyée du jihad ? Le prophète de l'islam ne disait-il pas que «l'encre du savant est plus sacrée que le sang du martyr» ?
Plutôt que de réagir passionnellement, anticipant et flattant ainsi l'instinct de la foule, les oulémas de l'islam ont-ils lu le texte intégral de la conférence en question ? Et, quand bien même l'auraient-ils fait, en ont-ils saisi le sens et l'essence ? J'en doute fort car, même si le mot «raison» est cité quarante-cinq fois dans le Coran et que celui-ci commence par l'injonction «Lis» (iqrâ), il y a bien longtemps que la raison philosophique et même théologique a déserté la terre d'islam. Au moins depuis les autodafés réservés aux livres d'Averroès. Celui-ci a, en effet, eu des disciples juifs dont le plus prestigieux est Maïmonide, des disciples chrétiens dont la plupart ont d'ailleurs été persécutés par l'Eglise (!), mais aucun disciple musulman. A cette époque, la Raison parlait arabe et l'Inquisition parlait latin. C'est ici, et seulement ici, que le propos du pape Benoît XVI doit être relativisé, car la rencontre féconde entre islam et pensée grecque a été déterminante dans l'émergence de la civilisation que certains appellent occidentale.

Malgré la confusion et les malentendus que peut induire l'exhumation d'un texte de l'empereur byzantin Manuel Paléologue, je doute fort que le souverain pontife adhère à la conclusion de l'incompatibilité ontologique entre islam et raison. Parce qu'il est érudit, il sait que le manuscrit en question n'exprime en rien la quintessence de l'islam mais traduit l'esprit de la controverse théologico-philosophique islamo-chrétienne se déployant à une époque d'antagonisme paroxystique entre le monde islamique et la chrétienté.
Quoi qu'il en soit, une bonne partie de la littérature philosophique ou théologique «antimahométane» a été manifestement influencée par une apologétique chrétienne médiévale, elle-même traumatisée par l'expansionnisme islamique qui, contrairement à la légende, issue de l'apologétique islamique cette fois-ci, n'impressionnait pas toujours par sa douceur spirituelle mais par la cruauté de son glaive. L'histoire en général, celle des religions en particulier, n'a pas toujours été sainte ; elle a été au contraire souvent violente et sanglante. Cela vaut aussi bien pour le christianisme que pour l'islam, même si les corpus fondateurs divergent complètement sur l'usage de la violence : «Remets ton glaive à sa place, ordonne Jésus, car tous ceux qui auront pris le glaive périront par le glaive» (Matthieu 26,53) ; «Permission est donnée à ceux qui combattent pour avoir subi l'iniquité» (sourate XXII, verset 39). Qu'importe si ce verset coranique est le premier autorisant la lutte défensive, après 70 autres proscrivant la violence. Le fait est que la position coranique est ici aux antipodes de la position néotestamentaire. Cet interdit clairement exprimé n'a du reste pas prémuni les ouailles de Jésus de la tentation belliqueuse puisque, de persécuté, le christianisme est devenu lui-même persécuteur après la conversion de Constantin, lorsque l'Empire romain a fait de l'enseignement évangélique une idéologie dominatrice et totalitaire.
Pour revenir dans l'histoire, pour s'inscrire dans la modernité, pour conjurer les démons de l'intégrisme, pour éviter le «choc des civilisations», l'islam doit subir cette défaite victorieuse infligée par les Lumières, comme jadis et naguère le christianisme. C'est à cette seule condition qu'il sortira du magma chaotique dans lequel les intégristes veulent le maintenir. C'est alors que sera possible un dialogue des religions et des civilisations authentique, sans concession et néanmoins fraternel, comme le suggère Benoît XVI, et non point syncrétique et vaguement oecuménique, comme c'est le cas depuis le concile de Vatican II.
Ce dialogue doit avoir pour vocation la tolérance, et pour fondement, la connaissance. C'est que l'ignorance de l'islam par les chrétiens et l'ignorance encore plus abyssale du christianisme et du judaïsme par les musulmans couvent des malentendus et même des conflits redoutables. D'où ce besoin urgent et vital de connaître les autres religions, besoin auquel appelait il y a déjà fort longtemps le grand théologien Max Müller : «Celui qui ne connaît qu'une religion n'en connaît aucune.»

Friday, September 29, 2006

Double peine pour les violées du Pakistan

D ans une geôle de Karachi, Jamila, jeune femme condamnée a trois ans de prison pour adultère, se lamente devant son fils : «Chaque fois que je le regarde, je vois son père, l'homme qui m'a violée.» Au Pakistan, une femme qui dépose plainte pour viol risque la prison. Si elle ne peut présenter les quatre témoins requis par la loi actuelle, elle ne peut prouver le crime. Bien pire, elle se voit automatiquement accusée d'adultère et, comme Jamila, se retrouve en prison, car elle a elle-même confessé une relation sexuelle illicite.

Oppression. Quand, par malheur, elle est célibataire et qu'elle est tombée enceinte après le viol, cela devient une preuve irréfutable d'adultère. Il y eut le cas célèbre de Safia Bibi, aveugle, violée en 1983 et incapable de reconnaître ses agresseurs. La jeune fille, enceinte, était passible de lapidation. Mais devant le scandale et les protestations, elle avait été acquittée en appel.
Cette situation absurde est une conséquence de l'ordonnance Hudood, imposée en 1979 par le dictateur Zia ul-Haq, pour donner un vernis islamique au pays. Plus ou moins inspirée des lois coraniques, l'ordonnance (lire ci-contre) était censée régler, entre autres, les cas d'adultère et de viol. Mais le texte, mal ficelé, s'est révélé un instrument d'oppression des femmes, notamment de milieu pauvre et analphabète, qui ont vite rempli les prisons par centaines. Quant aux auteurs de viol, ils restent impunis, faute de témoins.
Les accusations d'adultère sont aussi monnaie courante pour régler des comptes personnels. Il suffit d'enregistrer une plainte au commissariat, et les suspects sont arrêtés. Les hommes s'en sortent au bénéfice du doute. Mais les femmes, victimes d'une police misogyne, peuvent ensuite rester des années en prison en attente de leur procès : le crime d'adultère, gravissime, interdit d'être libéré sous caution.
Depuis 1979, les tentatives pour amender cette ordonnance «sacrée» ont échoué. La dernière en date est au coeur d'une polémique intense au Pakistan. La saga a débuté en août, quand le gouvernement a proposé un «projet de loi sur la protection des femmes».
Fouet. Le viol deviendrait un crime relevant du code pénal et non plus de la loi religieuse, ce qui donnerait de la valeur au témoignage des femmes et permettrait de sanctionner les violeurs. Pour le crime d'adultère, qui reste dans la loi coranique, l'accusateur devra d'abord produire quatre témoins musulmans irréprochables, qui auraient vu de leurs propres yeux la relation sexuelle interdite, pour pouvoir ensuite déposer une plainte contre les personnes adultères. Sans témoins, il recevra 80 coups de fouet pour «fausse accusation».
Le MMA, une coalition de six partis islamistes, s'est emparé de l'affaire, à un an des élections parlementaires. Le MMA rejette le «projet de loi sacrilège» et accuse le président Musharraf d'être vendu aux Américains et de répandre l'obscénité. Ses députés ont menacé de démissionner et déchiré publiquement le projet de loi, contenant des versets du Coran.
Selon Sherry Rehman, députée du PPP de Benazir Bhutto, qui soutient le projet, «les mollahs du MMA ont été bien incapables de dire ce qu'il y avait de non islamique dans ce texte. Ils se sont autoproclamés la police morale de notre pays. Mais nous ne les laisserons pas faire». Elle poursuit : «L'ordonnance Hudood n'a jamais été débattue au Parlement. Et elle va à l'encontre de tous les principes de droit international et de l'islam. Les victimes de viol ici se retrouvent punies ! C'est un désastre pour le Pakistan.»
Défiguré. Le gouvernement a fait marche arrière face aux protestations des islamistes, malgré sa majorité au Parlement. Le texte qui devait être examiné la semaine dernière doit être revu, et le vote a été reporté au mois prochain. A Lahore, une juriste de la commission des droits de l'homme du Pakistan se dit sceptique : «Je suis pour une abrogation complète de l'ordonnance, mais ce projet de loi, même s'il n'est pas extraordinaire, est déjà un premier pas. Le problème, c'est que le texte est modifié tous les jours.» Le projet de loi risque de se voir tellement défiguré, à force de nouveaux amendements, qu'il ne changera rien.
Selon les statistiques d'une ONG pakistanaise, près de 1 millier de femmes seraient en prison pour adultère. Dans 80 % des cas, elles sont acquittées, après avoir croupi en prison parfois des années. Mais, une fois sortie, elles se retrouvent stigmatisées pour le restant de leurs jours et considérées comme des prostituées.
Comme l'explique une militante féministe pakistanaise, «l'ordonnance Hudood est une épée de Damoclès qui pèse sur les femmes, les hommes peuvent s'en servir pour faire du chantage à tout moment. C'est aussi un instrument de pouvoir pour les potentats locaux et les seigneurs féodaux, qui peuvent accuser n'importe qui avec la complicité d'une police corrompue». ( extrait de la liberation.fr)